Le menu du chef

Quelques textes anciens pour un bénéfice présent

Certains se posaient des questions...

«Aujourd'hui, les vignerons sont mieux équipés. Avec leurs tracteur, pulvérisateur, "rotorator", charrue quadruple ou sextuple, ils gagnent un temps fou. Pourtant, les vignes sont de moins en moins labourées et déchaussées. Beaucoup se contentent de désherber en traitant à fortes doses. On a l'impression que plus on va vite, moins on a le temps de s'occuper de ses terres. C'est bien beau de tuer l'herbe, mais la terre, tant de poison, ça doit pas l'arranger... Qui peut dire qu'à la longue, tous ces produits la stériliseront pas ? Ça donne des résultats en surface, mais en profondeur, où ça va ? Quand on voit tous ces poissons et ces oiseaux qui crèvent, il y a de quoi se poser des questions. La terre, ça a besoin de respirer, c'est vivant. Une vigne, on la chausse, on la déchausse, sinon elle s'étouffe, elle s'asphyxie. J'en vois, des copains, qui me disent : "Maintenant, avec ces désherbants, c'est formidable, on a plus besoin de travailler les vignes." Moi je trouve pas ça normal. La terre a besoin du travail de l'homme, la chimie ne remplace pas la charrue. La vigne, c'est pareil, le paysan doit passer du temps avec elle, être attentionné, prendre la peine de travailler chaque souche, de se dire : "Tiens, elle a grossi depuis l'an dernier"  ou bien s'apercevoir qu'elle pousse de travers : "Un piquet lui ferait pas de mal, à celle-là..."
Mais si le type reste "quillé" sur son tracteur, qu'est-ce qu'il peut bien voir de sa vigne ? Est-ce qu'on aime encore une terre qu'on ne regarde plus ? Sans compter les risques qu'il prend, celui qui traite avec un masque à gaz : les pesticides, le Lindane, les arséniates, les défoliants, ça m'étonnerait que ça soit fameux pour la santé. Mais si un jour les vignes crèvent, ce sera peut-être autant par manque d'affection qu'à cause des traitements qu'on leur aura infligés.»

 Léonce Chaleil (né en 1907), La mémoire du village. Souvenirs recueillis par Max Chaleil, Édition du Club France Loisirs, Paris - 1991 avec l'autorisation des Presses du Languedoc - 1983 - 1989 (première édition Stock 1977), p. 232.

Le vin naturel, invention de bobo ?

«Réussir un bon vin, c'est pas si simple. Le vin est comme un être vivant, on doit le soigner, le dorloter. Je parle du vin naturel, pas de celui qu'on trafique aujourd'hui et qui vous brûle l'estomac.»

 Léonce Chaleil (né en 1907), La mémoire du village. Souvenirs recueillis par Max Chaleil, Édition du Club France Loisirs, Paris - 1991 avec l'autorisation des Presses du Languedoc - 1983 - 1989 (première édition Stock 1977), p. 232.

Était-ce mieux en 1868 ? (et encore du vin naturel...)

«Quand je pense aux bienfaits de l'usage des vins naturels et aux tristes effets de ces boissons composées par la cupidité cachée sous le manteau de la science et même de l'humanité, je ne puis m'empêcher de rire tout bas de la sottise humaine ; et plus cette sottise se prend aux faux airs d'institut, de philantropie, d'économie sociale et politique, plus cette comédie me semble grotesque.
   En face d'un chimiste, d'un fabricant et d'un marchand qui pilent des betteraves, des pommes de terre, du grain, des grappes d'aramon, de teret-bouret, de foirard, etc. et qui, ayant saccharifié, fermenté, distillé et parfumé tout cela, en font différents mélanges qu'ils affirment représenter le beaujolais, le mâconnais, le beaune, le médoc, l'hermitage, le vouvray, le joué, le bourgueil, je vois de suite, en imagination, un autre chimiste, un autre fabricant, un autre marchand, qui pilent de la chair de chien, d'âne, de corbeau, de chèvre, de renard, de poisson, de crocodile, etc. et qui disent au public : Achetez notre marchandise ! elle est vérifiée, poinçonnée et garantie. Ceci est une perdrix, ceci un filet de boeuf, ceci une côtelette de mouton, ceci un jambon de Mayence, ceci un poulet fin, une brochette de mauviettes, un cuisseau de chevreuil, un caneton de Rouen, une rouelle de veau ! Si vous doutez, faites-en faire l'essai scientifique ! vous aurez la preuve qu'il y autant d'azote, de carbone, d'oxygène et d'hydrogène dans ce que je vous offre pour 50 centimes que dans ce qui vous coûterait ailleurs 2 francs. Vous trouverez les mêmes réactions avec les acides, les alcalis et les dissolvants chimiques ; si vous critiquez, et que vous nous accusiez de falsifier, nous répondrons que nous améliorons ! Qu'est-ce que le poulet ? une chair blanche et fade ; eh bien ! un peu de chair d'âne et un morceau de saurien produisent un aliment plus savoureux, plus corsé : et d'ailleurs du poulet, il n'y en a pas assez ! et la loi d'économie politique que la consommation veut être satisfaite est inflexible ; donc, en vendant de la chair d'âne et de saurien pour du poulet, nous satisfaisons aux besoins impérieux de l'humanité, donc nous sommes bienfaiteurs de l'humanité ! Devant ce boniment des marchands de boissons et des marchands d'aliments mélangés, coupés, falsifiés, ne discutez pas trop longtemps, car ils vous accuseront de n'avoir pas le sou (le plus grave délit du jour) ; ils en appelleront à leurs gourmets, à leurs journaux, à leurs avocats, et gare à vous ! car vous attaquez les sciences, les arts, l'industrie, le commerce, l'économie politique et surtout la liberté ! donc, vous troublez la société.»

Dr Jules Guyot, Étude des vignobles de France : pour servir à l'enseignement mutuel de la viticulture et de la vinification françaises, Paris 1868, Tome 2, pp. 644-645.

Fallait-il vraiment supprimer tous les hannetons ?

«On attrapait aussi beaucoup plus d'insectes autrefois que maintenant : des sauterelles vertes dans les maïs, des grillons et des "sauteriaux" dans les luzernes, des "jeudis" dans les vignes... Ils ont tous succombé sous le déversement intensif des engrais et des pesticides, selon un processus d'anéantissement irréversible. On savait ce que ces insectes nous gâtaient jadis mais on évalue encore mal ce que leur disparition nous coûtera dans l'avenir. Dites : fallait-il vraiment supprimer tous les hannetons ?»

Gérard Boutet, Ils étaient de leur village, Jean-Cyrille Godefroy, 1988, p. 217.

Lorsque l'écologie n'était pas affaire de camp.

Mon cher Premier Ministre,

J'ai eu, par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du Ministre de l'Equipement -Direction des routes et de la circulation routière- dont je vous fais parvenir photocopie. Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris l'existence.

Elle appelle de ma part deux réflexions : La première, c'est qu'alors que le Conseil des Ministres est parfois saisi de questions mineures telles que l'augmentation d'une indemnité versée à quelques fonctionnaires, des décisions importantes sont prises par les services centraux d'un ministère en dehors de tout contrôle gouvernemental  la seconde, c'est que, bien que j'ai plusieurs fois exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder "partout" les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la République.

Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques.

C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage.

D'ailleurs, une diminution durable des accidents de la circulation ne pourra résulter que de l'éducation des conducteurs, de l'instauration des règles simples et adaptées à la configuration de la route, alors que complication est recherchée comme à plaisir dans la signalisation sous toutes ses formes. Elle résultera également des règles moins lâches en matière d'alcoolémie, et je regrette à cet égard que le gouvernement se soit écarté de la position initialement retenue.

La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes -et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes- est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain.

Je vous demande donc de faire rapporter la circulaire des Ponts et Chaussées et de donner des instructions précises au Ministre de l'Equipement pour que, sous divers prétextes (vieillissement des arbres, demandes de municipalités circonvenues et fermées à tout souci d'esthétique, problèmes financiers que posent l'entretien des arbres et l'abattage des branches mortes), on ne poursuive pas dans la pratique ce qui n'aurait été abandonné que dans le principe et pour me donner satisfaction d'apparence.

La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !

Georges Pompidou

Lettre de Georges Pompidou, Président de la République Française, à Jacques Chaban Delmas, Premier Ministre, en date du 17 juillet 1970.

in « Georges Pompidou, lettres, notes et portraits 1928–1974 », Alain Pompidou et Éric Roussel, Robert Laffont, 2012

Le thé fut notre ennemi de là-bas...

«Au lieu d'envoyer dans l'Inde nos richesses pour acheter une feuille qui offre si peu d'avantages et tant d'inconvénients, que ne récoltons-nous sur nos montagnes, dans nos prairies les végétaux parfumés, qui fournissent des infusions tout à la fois agréables et salutaires. Adoptons les falltrancks des Suisses, la sanicle, la bugle, la véronique, la pyrole, le gnaphale, l'armoise, la bétoine, la centaurée, les menthes, les sauges, etc. Si nous voulons absolument des plantes exotiques, achetons aux Espagnols la capraire biflore et l'anserine du Mexique, ou l'erytroxille du Pérou ; aux américains, la cassine des Apalaches, le ceanothe, la monarde d'Oswego, le psoralier des Jésuites ; enlevons à la nouvelle Hollande le leptosperme et la salsepareille glyciphille ; mais surtout cultivons avec soin à l'île de France la précieuse aya-pana, dont l'infusion vaut tous les thés du monde et par son doux parfum et par ses rares propriétés.»

Charles-Louis Cadet de Gassicourt, Le thé est-il plus nuisible qu'utile ? ou Histoire analytique de cette plante, et moyens de la remplacer avec avantage., Paris : D.Colas, 1808, pp. 31-32.

Droite ou gauche.

Un jour, ou peut-être bien l’autre, j’ai lu quelque part, à moins que ce soit ailleurs, la relation de la circonstance historique qui serait à l’origine des expressions « droite » et « gauche » dans leur sens politique désormais universellement accepté.
C’était sous la Révolution, crois-je me rappeler dans une brume, ou bien sous la Restauration, c’est pas impossible non plus, enfin, bon, vous devinez la suite, les hasards des affinités et des sièges libres firent qu’à droite de l’, comme on dit, hémicycle, se regroupa ce que par la suite on devait conséquemment appeler la « droite », tandis que de l’autre côté, eh, oui… C’est de la petite histoire, vraiment toute petite, de celle qu’on se dépêche d’oublier à peine lue parce qu’on sait qu’on va la relire ou la réentendre dix mille fois encore au cours d’une vie de longueur moyenne , dans les magazines spécialisés, sur les pages des agendas ou dans la bouche de Monsieur Alain Decaux, et alors si on se la rappelle trop précisément on sait d’avance qu’on va se faire chier très vilainement pendant les cinq minutes qui vont suivre, or la vie est courte, le nombre de minutes qu’elle contient strictement limité, cinq minutes à se faire chier sont cinq minutes qui ne reviendront plus, on a pas le droit de rejouer, ça s’appelle la condition humaine, ça fait de très beaux poèmes, très poignants, pour ceux dont c’est le métier d’en faire. Va donc à la ligne. T’as raison.
   Mais la gauche n’est pas née ce jour-là. Ni d’ailleurs la droite. Les idées de gauche, je veux dire. Plutôt, l’état d’esprit de gauche, dirai-je encore mieux. À vrai dire, l’esprit de gauche, il est de tout temps. L’esprit de droite aussi. Ah, ah. Paradoxe. Bel esprit. On fait le malin, hmm ? Ouais. Là, il faut des définitions, autrement on ne fait que de la littérature.
   Définitions. Qu’est-ce qu’un état d’esprit de gauche ? L’état d’esprit de qui estime que les choses ne vont pas pour le mieux dans une société humaine donnée et voudrait œuvrer pour qu’elles aillent mieux. Qu’est-ce qu’un état d’esprit de droite ? L’inverse, pardi ! Précisez. Eh bien, l’état d’esprit de quiconque estime que tout est au mieux tel que c’est, et qu’en tout cas on s’est habitués comme ça, et que tout changement ne peut être que catastrophique. Ce sont en général, curieusement, les gens qui n’ont pas trop d’ampoules aux mains qui professent des idées de droite. Ex. : « La grande révolte des esclaves, à Rome, ne fut pas le fait d’hommes de droite. »
   Eh bien, voilà une base solide. Est de gauche tout ce qui, dans l’histoire, n’a pas accepté l’état de choses existant simplement parce qu’il était l’état des choses, qu’il avait toujours été tel et, de ce fait, revêtait un caractère sacré. En un mot la gauche, c’est la révolution. Pas forcément violent : la violence concerne le passage à la pratique, elle n’est que la conséquence de la résistance des gens qui ne veulent pas que ça bouge, c’est-à-dire de la droite. S’il est arrivé à la gauche de prôner l’action violente, c’est en tant que moyen hélas nécessaire de s’emparer des leviers, jamais en tant que but à atteindre, qu’état permanent et souhaitable de la société rêvée. À la droite, par contre, il est arrivé de rêver d’un état de lutte incessante, afin que les « meilleurs » triomphent et que la race s’épure des inaptes à vivre dangereusement pour évoluer peu à peu vers le surhomme, vision d’un romantisme échevelé. La droite est essentiellement affaire de sentiment. Ne vous récriez pas.
   La gauche, ai-je dit, est ce qui remet en cause. La droite est ce qui renâcle. Ou, quand la droite est dynamique, c’est parce que la gauche a marqué des points et qu’il s’agit de retourner en arrière. La droite a la dynamique de l’élastique. Hitler (comme exemple de comportement de droite, Hitler, ça vous convient?) se donnait pour homme de révolution et de progrès. Sa révolution consistait ç supprimer la démocratie, son progrès à supprimer les conquêtes sociales. Je ne parle d’autres aspects spectaculaires de son action… On peut difficilement accuser Hitler d’immobilisme. La droite peut donc être active, et même frénétique, quand il s’agit de marcher à reculons. Voir Amérique latine et autres.
Remettre en cause suppose deux démarches préalables. D’abord, une insatisfaction. Ensuite, un examen méthodique des causes de ce sentiment d’insatisfaction. Cet examen conduit à l’analyse du fonctionnement des institutions, à la découverte des causes des anomalies, à l’élaboration de propositions tendant à leur apporter remède, voire à repartir de zéro. L’attitude de gauche suppose donc logique et cohérence. Tout au moins désir d’agir suivant la logique et la cohérence.
   La droite, tout le contraire. L’attitude de droite proclame avant tout l’incompétence de la logique, de la cohérence, en un mot : de la raison, dans les affaires de société. Elle les proclame transcendant nos faibles moyens, ressortant strictement de la tradition - « Nos pères ont toujours fait comme ça »- ou, mieux, du Surhumain - « Dieu l’a voulu c’est écrit dans le livre ». Arc-boutée sur l’irrationnel, la droite dresse une univers abstrait irrationnel, un univers de défenses, paradoxal, masochiste, exaltant pour l’imagination avide d’inouï et d’exploits, où les valeurs sont morales : courage, sacrifice, héroïsme, stoïcisme, parole donnée, fidélité, injustice du sort d’autant plus admirable qu’elle est injuste… La droite use beaucoup de ces adjectifs et adverbes : grandiose, surhumain, au-delà, pathétique… Plus c’est absurde, plus c’est cruel, plus c’est désespéré, plus c’est beau. La droite réponde à la « sécheresse » de la « froide » raison par l’exaltation à grand spectacle de l’absurde de la condition humaine.
   L’attitude de la droite, conservatrice (immobilisme) ou réactionnaire (marche à rebrousse-poil), s’étendait à tous les domaines de l’activité, avant tout à celui de la pensée. La pensée, connais pas. La connaissance ? Elle est acquise une fois pour toutes, tout ce qui est inconnu est inconnaissable, la puisse suprême l’a voulu ainsi, et c’est justement ça qui est beau. Le Mystère, ça chatouille l’âme et permet le rêve. Le rêve, pas la pensée. D’où la position systématique de la droite, de toutes les droites, partout, toujours, sans avoir à se concerter, contre les novateurs. Pas forcément les novateurs scientifiques, d’ailleurs, Aussi contre les prophètes et les aventuriers, même si ce qu’ils proposaient était un renforcement outré dans le sens réactionnaire-régressif.
   Toute pensée qui cherchait à comprendre, fût-ce partiellement, le monde, se trouvait à tous les coups rejetée à gauche. Galilée n’était sans doute pas un réformateur social, il n’empêche que sa théorie de la Terre non centrale s’est retrouvée théorie de gauche, et sa lutte a été une lutte de gauche. L’humanisme a été un mouvement de gauche, et aussi la Réforme, à ses débuts, qu’elle l’ait voulu ou non. Descartes et Newton se trouvèrent bien malgré eux mener un combat de gauche, et aussi Montesquieu, et aussi Rousseau, Voltaire, Diderot… Le siècle des Lumières vit s’organiser les idées de gauche, même si elles ne s’appelaient pas encore comme ça. Le XIXe siècle fut le siècle de l’irrésistible montée de la pensée rationaliste, pensée « de gauche » par excellence, face aux traditionalistes cramponnés pied à pied aux schémas indémontrables., Darwin et le transformisme, c’est la gauche, des preuves et des raisonnements plein les mains, en face de la droite brandissant ses crucifix et son horreur du singe !
   En somme, la gauche était « pour le peuple », non par sentimentalisme, mais parce qu’il lui semblait illogique, absurde, contraire à la bonne organisation sociale, et donc générateur de malheur et de mort, qu’il y ait des pauvres et des riches, des esclaves et des maîtres, des exploités et des privilégiés. Le Code civil, la démocratie, puis le socialisme lui paraissaient aussi lumineusement nécessaires que les théorèmes des mathématiques ou les lois de la physique. Le combat pour la primauté absolue de la raison et de la méthode scientifique se confondait avec le combat pour la liberté, l’égalité et le progrès social. Symétriquement, obscurantisme et réaction étaient tout un.
   Tout est changé. Dois-je dire depuis Mai 68 ? Ça a commencé bien avant, mais Mai marque bien, symboliquement, le basculement des positions.
   Si la gauche, aujourd’hui, est toujours, socialement, « pour »le pauvre et « contre » le riche, c’est à peu près tout ce qui lui reste, et encore ne l’est-elle que sentimentalement. Partout ailleurs, la gauche, surtout la gauche jeune, a des positions qui étaient naguère les positions traditionnelles de la « pensée » de droite.
D’abord, le refus de la « froide » raison. La gauche, surtout l’extrême, est devenue romantique, coup de cœur, spontanéiste – ah, la spontanéité ! , cela va sans dire, viscérale, dogmatiste. Prône la primauté du non-élaboré sur la morne et chiante raison. Du facile sur le fatigant (mais ça, elle ne le sait pas). On aime le Che ou Trotski non pour la cohérence de leur doctrine, mais pour leur côté anges maudits, héros désespérés, etc.
   La gauche se méfie de la science. Elle confond d’ailleurs science (connaissance) et choix technologique (magouilles). Le nucléaire est mauvais, or le nucléaire c’est de la science (!), donc la science c’est de la merde. Les découvertes sont détournées par l’armée, donc la science c’est de la merde. Les savants ont des faiblesses humaines, pratiquent le carriérisme et le mandarinat, donc la science c’est de la merde…    La gauche fonctionne sur des a priori, des tabous qu’il est aussi interdit de remettre en cause qu’autrefois les « vérités » de l’Évangile. Je n’en citerai qu’un : l’inégalité des capacités intellectuelles à la naissance. L’idée socialiste est : quelles que soient les différences naturelles entre les hommes (de taille, de force, d’habileté, d’intelligence, de savoir…) elles ne doivent pas se traduire par des différences sociales, et même on doit s’attache à compenser les inconvénients qui en découlent. C’est devenu ceci : oser évoquer de possibles différences intellectuelles congénitales entre les hommes est fasciste et fumier. Le premier salaud qui ouvre la bouche là-dessus sera proclamé anathème. Je ne sais pas ce qui en est, je sais seulement qu’il est hautement improbable que les aptitudes intellectuelles ne soient pas aussi diverses que les aptitudes musculaires, nerveuses ou de santé. Je suis en tout cas certain que planter un mur infranchissable autour de quelque sujet que ce soit est antiscientifique, rétrograde, malsain. Ce n’est pas en fermant les yeux à la vérité qu’on bâtira du solide. Ceci n’est qu’un exemple. J’en ai cent autres.
   La gauche, sans s’en rendre compte, abandonne ses positions de gauche. La droite les occupe. Une partie de la droite. Celle qui servira de fer de lance pour le reste. Et qui séduira les esprits épris de clarté, de liberté de pensée, de logique, de cohérence.
   Il existe depuis quelques années une droite (et même une extrême droite) athée, ou tout au moins agnostique, militant pour une pensée claire et efficace, se recommandant de la Grèce antique (et y rattachant subrepticement l’Occident blond, suivez mon regard), qui se garde bien de « raisonner » par accumulation de citations dogmatiques comme font les marxistes, qui manifeste depuis peu une vitalité conquérante, et qui, j’en suis persuadé, ne manque pas d’exercer un attrait certain sur les esprits avides de cartésianisme (ce mot est devenu une injure dans la bouche des petits cons malins dans le vent !), rebutés par la logomachie sensiblouille et bravache de l’extrême-gauche, par l’irrationalisme chialard et le bricolage rousseauiste où s’est enlisé le mouvement écologique, par le carcan politique et les dogmes ouvriéristes du Parti, par l’opportunisme des socialistes, leurs « raisonnements » de littéraires esthètes…
   Qu’on y prenne garde ! La droite, comme l’Église, laisse la bride sur le cou à des non-conformes parce qu’il y a un « créneau » à saisir, mais ses positions fondamentales n’ont rien à voir : inchangées. Les plus aptes ont fait la preuve de leur supériorité en conquérant les places de direction, la race blanche est supérieure, l’homme a sur terre un but qui le dépasse, etc. Je ne parle pas des visées plus terre à terre et plus immédiates.
   L’ « esprit scientifique » de cette nouvelle droite n’est, bien sûr, qu’un masque. Le danger c’est qu’elle est la seule à la brandir. Les déconnages en tous sens des « nouveaux philosophes » mettent en évidence le malaise de la pensée actuelle, incapable de se libérer de la pression politicosociale et exercée par des littéraires pénétrés jusqu’à la moelle du vice esthète : confondent élégance de forme avec rigueur démonstrative.
   Bon. Il faut que j’arrête. Il s’en trouvera parmi vous pour voir dans tout ça une propagande prodroite, puisqu’elle est antigauche. C’est justement là un indice de plus d’indigence de pensée : si on critique, c’est qu’on est contre.
Allez salut.