« Et le p'tit bleu, est-ce que ça ne le rend pas meilleur d'être servi au sein des vignes du Seigneur ? » chantait Georges Brassens dans Le vieux Léon.
Allons donc jeter un oeil dans quelques dictionnaires d'argot ou classiques pour avoir des précisions sur ce bleu.
À noter que nous n'en avons pas trouvé trace (dans un dictionnaire donc), pour désigner du vin et pour l'instant, avant 1856 et après 1878 1.
Commençons par les Études de philologie comparée sur l’argot de Francisque-Michel, publié en 1856 :
BLEU, s.m. Manteau
Aujourd’hui bleu sert à désigner du vin, qu’on appelle à Paris petit bleu, à cause de sa qualité et de sa couleur, dans les lieux fréquentés par ceux qui parlent argot.
La deuxième édition des Excentricités du langage de Larchey, publié en 1861, nous offre une citation en plus :
Bleu, Petit bleu : Gros vin de couleur violette et de mince qualité. « En causant, la franchise, arrosée par les libations d'un petit bleu, les avait poussés l'un l'autre à se faire leur biographie. » - Murger. 2
Nous retrouvons, bien entendu, notre bleu dans la 5e édition des Excentricités du langage, datée de 1865, avec une définition plus précise et une citation raccourcie :
Bleu : Gros vin dont les gouttes laissent des taches bleues sur la table. - « La franchise, arrosée par les libations d'un petit bleu, les avait poussés l'un l'autre à se faire leur biographie. » - Murger.
Poursuivons avec le Dictionnaire de la langue verte de Delvau, publié en 1866. Au moins six bleu différents dans ce livre, dont celui qui nous intéresse présentement :
BLEU, s. m. Vin de barrière, - dans l’argot du peuple, qui a remarqué que ce Bourgogne apocryphe tachait de bleu les nappes des cabarets.
On dit aussi Petit bleu.
De nouveau Les excentricités du langage en 1872, dans une 6e édition, qui reprend la définition de 1865. Les changements sont donc minimes mais une nouvelle citation apparaît :
BLEU, Petit bleu
[idem 1865]
De ce vin, qu'à tort l'on renomme,
Qui grise en abrutissant l'homme,
Et qu'on vend pour du petit bleu,
J'en goûte peu. (H. Valère.) 3
Beaucoup de bleu bien entendu dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse (tome 2), publié en 1867, ce dictionnaire étant particulièrement complet. À noter, l'expression « bourgogne apocryphe », potentiellement reprise de Delvau. Profitons-en pour préciser ici que le terme « bourgogne » désignait couramment le vin rouge.
Bleu, s. m. [...]
- Pop. Vin de mauvaise qualité, de couleur violette, ainsi nommé parce que ce bourgogne apocryphe tache de bleu les nappes des cabarets : Boire du bleu. Chez Paul Niquet on boit du Bleu et de l'eau d'aff 4, par excès de civilisation. (Th. Gaut.) 5 || Gros bleu, Bleu plus chargé encore de couleur que le bleu ordinaire : Peu à peu les paysans avaient pris l'habitude de joindre à leur consommation hebdomadaire de Gros Bleu, d'abord un morceau sur le pouce, puis plusieurs morceaux sur la table. (X. Boni.) 6 || Petit bleu, Bleu plus léger, moins chargé en couleur : C'était un Petit Bleu extrêmement réjouissant. (A. Dum.) 7 En causant, la franchise, arrosée par les libations d'un Petit Bleu, les avait poussés l'un et l'autre à se faire leur biographie. (H. Murger.)
Beaucoup de bleu de nouveau dans le Dictionnaire du jargon parisien de Rigaud, publié en 1878. Celui que nous cherchons s'y trouve :
Bleu, Petit bleu.
Mauvais vin qui tache la nappe en bleu. - Mettre le pion dans le bleu, boire du vin de mauvaise qualité. - Voué au bleu, ami de la bouteille.
Changement dans le Petit dictionnaire d'argot parisien publié en 1907 puisque il y a passage au féminin pour désigner l'alcool à la mode :
Bleue, verte, pure. - Absinthe
La lecture de plusieurs sources est toujours riche, que ce soit par les précisions apportées selon les auteurs mais aussi par la comparaison entre elles. Nous pouvons également nous régaler des différentes significations que peuvent prendre un même mot (nous vous laissons aller les découvrir pour ce bleu sur Gallica).
Connu depuis plus longtemps dans nos contrées qu'on ne le pense généralement, il n'était pas consommé comme de nos jours. Preuve en est dans La cuisine de la ferme de Marceline Michaux, publié en 1867 :
QUINOA
Le quinoa, connu seulement des cultivateurs amateurs de légumes, fournit des feuilles dont on se sert exactement comme des feuilles d'épinards.