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Traditions bretonnes - Logis et ménages

Pierre Jakez Hélias, célèbre journaliste, écrivain et folkloriste, connu pour son livre « Le Cheval d'orgueil », a beaucoup écrit sur la Bretagne, en français et en breton. Nous retrouvons ici un extrait d'une petite monographie sur les traditions bretonnes. Extrait consacré, bien entendu, à la nourriture...

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Prestige du foyer

[...] la cheminée une chose essentielle car c'est là que se préparaient aussi les nourritures.

Dans le mur du fond de l'âtre, deux trous carrés. L'un, en bas et au milieu, servait à ramasser les cendres. L'autre, plus petit et plus haut à gauche, tenait autrefois la provision de sel au sec dans une boîte en bois. J'y ai vu plus souvent le bol qui contenait le mélange de saindoux et de jaune d’œuf destiné à graisser la galettière (pillig). Celle-ci, platine ronde de grand diamètre, était dressée au fond en attendant de servir, son trépied à côté d'elle. Une ou plusieurs marmites de fonte complétaient le gros attirail de la cuisinière. Deux fois par jour, tout cela allait au feu pour la galette, les crêpes de froment ou de blé noir, la potée, le ragoût et la bouillie. C'était là l'essentiel de la nourriture avec les écuellées de soupe au café tenues au chaud près du tas de braise. Quand la vache avait eu son veau, la maîtresse cuisait un fars spécial avec le premier lait. Il y fallait un feu doux sous la marmite, un feu d'enfer dessus. En guise de couvercle, on utilisait la galettière recouverte d'une épaisse couche de braises. C'était une opération délicate que toute la famille observait avec un enthousiasme inquiet. Et du respect toujours. On avait été élevé dans la religion du pain.

La table et le banc

La valeur du pain était nettement signifiée par la présence, au haut bout de la table, de la koloenn. C'était un large panier plat, en osier tressé, qui reposait sur son ouverture. Il recouvrait la tourte de pain, non seulement pour la défendre contre les souris et autres animaux vaguants, mais aussi pour faire comprendre, particulièrement aux enfants, qu'on ne se coupe pas une tartine à son envie, même sous le vain prétexte qu'on a faim. Au centre de la koloenn était attachée une corde qui passait dans une poulie au plafond. Je vois encore mon grand-père le sabotier tirer sur cette corde aux heures des repas, faire monter la koloenn au plafond, amarrer la corde à un clou du mur. La tourte à découvert, il la dressait contre sa poitrine, prenait une lame d'acier munie d'une poignée à chaque bout qu'on appelait ar plén. Puis, à deux mains, il coupait une énorme tranche, bien régulièrement, d'un bout à l'autre de la tourte. Cette tranche serait ensuite partagée. Et, bien entendu, avant d'entamer la tourte, il avait tracé une croix avec le plén ou le couteau sur le côté plat. Dans d'autres maisons, le pain et le lard, recouverts d'un linge, étaient placés sur une planche fixée au plafond par deux montants.

La table était disposée devant la fenêtre, presque à la toucher. Au début du [XXe] siècle, cela pouvait être encore une huche, une « table à ventre » comme on disait. Son couvercle glissait ou se soulevait. À l'intérieur se trouvaient les tourtes de pain de seigle ou de méteil (dix livres chacune), le lard et les provisions en réserve. Elle contenait aussi la farine quand on faisait le pain à la maison. Dans ce cas, la maîtresse pétrissait la pâte sur le couvercle. Ce couvercle, sauf aux deux extrémités, débordait trop peu pour permettre aux mangeurs assis devant de se caser les genoux. D'ailleurs, la cuisinière se contentait souvent de poser sur la table la soupière, la marmite ou le grand plat. Après quoi, chacun se servait comme il l'entendait, soit en remplissant son assiette, soit en prenant une part de viande sur une tranche de pain. Pour la bouillie, la marmite trônant au milieu, on divisait la surface en autant de parts qu'il y avait de convives et les uns et les autres attaquaient directement à la cuillère ce qui leur était dévolu. « Mangez, les gens, mais mangez proprement et n'allez pas dans le champ du voisin. » Pour la galette ou les crêpes, jetées sur une toile blanche à mesure qu'elles se faisaient, on se servait à mains nues et on mangeait sans autre couvert. En somme, on ne s'attardait guère. L'hiver, au soir, on préférait avaler sa pitance devant la cheminée, l'été sur le seuil de la porte.

Quand la table à ventre disparut, elle fut remplacée par une autre fort commune, comprenant un simple plateau sur quatre pieds droits. Les tables ouvragées étaient des exceptions très rares. Au plafond pendait encore le parailler, le porte-cuillères sur lequel chacun avait son outil personnel à sa marque. Les cuillères étaient en bois avant d'être en fer. Celles en bois ne disparurent que très tard parce que le goût de la nourriture y était réputé meilleur. D'autre part, les paysans se plaisaient à tailler et sculpter eux-mêmes leurs propres cuillères et spécialement celles qui leur servaient pour les repas de noces et dont certaines étaient de petits chefs-d’œuvre. En effet, pour ces fricots qui réunissaient des centaines de convives, chacun emportait sa cuillère de bois, fièrement plantée dans une boutonnière ou le ruban du chapeau pour faire savoir à tous qu'il allait s'en mettre plein la panse. Pour ma part, je n'ai connu qu'un vieil homme, vers 1930, qui avait toujours sur lui sa cuillère en bois quand il allait en chemin. On utilisait peu la fourchette. L'instrument précieux était le couteau de poche qui servait à tous les usages. Aussi l'ambition des enfants était-elle de grandir assez pour obtenir un véritable Pradel. Dans beaucoup de maisons, seul le père de famille en avait un.

On s'asseyait sur des bancs. Les chaises sont venues très tard parce qu'on ne les trouvait pas commodes ni assez solides. Les paysans aimaient s'asseoir les coudes sur la table et les fesses en arrière. Ils n'éprouvaient pas le besoin de s'adosser. Et cependant ils avaient chez eux des bancs superbes, conçus et décorés pour s'accorder avec le mobilier d'apparat dont la pièce la plus originale était le lit-clos.

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Bibliographie

.: Logis et ménages - Traditions bretonnes II de Pierre Hélias - traduit du texte breton - Éditions d'art, Jos Le Doaré, Châteaulin (Finistère), 1970